Politique des visualisations de données économiques

Mythologie, magie, sorcellerie

L’impression de vivre dans une instabilité économique permanente, entre une crise qui n’en finit pas et une autre en gestation, interroge le pouvoir réel du citoyen sur les politiques économiques. Le découragement que l’on observe devant la grande technicité des débats économiques révèle une communication et une rhétorique des experts inadaptée au débat démocratique. En quoi le design peut-il faciliter l’accès à la complexité économique dans la visualisation de données ? De nombreuses études décrivent des méthodes pour encoder visuellement des données afin d’en extraire de l’information de manière optimale. Mais la concentration de la recherche sur le plan de l’efficacité, des performances cognitives et perceptives des visualisations de données n’amplifie-t-elle pas, également, l’approche technique de sujets tels que l’économie ? Les visualisations de données sont aussi des images. En cela, elles produisent des effets qui dépassent largement la transmission d’informations : elles aident à penser, s’articulent avec la mémoire et l’imagination. Penser les images matérielles de l’économie en relations aux images mentales nous oriente alors vers les enjeux idéologiques ou normatifs de la visualisation de données.

S’il est nécessaire d’agir sur les conditions d’existence des alternatives à l’économie néolibérale, à commencer par la capacité à imaginer ou concevoir qu’elles puissent exister, c’est que quelque chose se joue entre le vécu, les descriptions, transmissions, explications des phénomènes économiques et la manière dont cela s’articule (ou non) pour produire une vision du monde. La question que je me pose alors est la suivante : comment la visualisation de données, en particulier lorsqu’elle s’appuie sur une démarche en design, peut-elle contribuer à la perception politique des enjeux économiques et à leur réappropriation par les non-experts ? Dans la première partie de la thèse, je montre comment l’économie a été pensée dans l’histoire, par et avec la représentation de données. Mais pour répondre à la question, j’emploie ensuite trois entrées, comme trois pistes qu’il conviendra de suivre pour questionner la dimension politique ou idéologique des visualisations de données. La mythologie, la magie et la sorcellerie sont trois manières d’appréhender les écueils de perception, représentation ou appropriation des enjeux économiques et d’envisager de possibles contournements grâce à la visualisation de données. Ces entrées arrivent chacune avec leur corpus théorique et instruments critiques à travers lesquels sera interrogée, auscultée, la visualisation de données économiques. Elles ne sont cependant pas à considérer comme des catégories dans lesquelles pourraient être classifiés les différents types de représentation ou leurs effets. Elles sont plutôt à concevoir comme des postes d’observation ouvrant chacun une perspective différente sur le même objet d’étude.

Ainsi de la mythologie à la sorcellerie en passant par la magie, ce sont les caractères inaccessible, illisible, invisible et impalpable du système économique qui sont mis à l’épreuve par un processus de visualisation de données devenu accessible, lisible, visible et palpable par les non-experts, lui retournant ainsi l’envers de ses pouvoirs, c’est-à-dire lui renvoyant du politique.