usine2
 
.CORP & Studio Lo → Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous expliquer en quelques mots quel a été votre parcours.
Jean-Louis Fréchin J’ai une formation d’architecte. Après mon dplg, j’ai décidé de faire du design, parce que je trouvais qu’il manquait de machines, d’économie, de réel dans les études d’architecture. J’ai donc intégré l’ENSCI. Après mon diplôme, j’ai rejoint un institut de recherche en informatique au Portugal. Il y faisait beau, il y avait des plages, mais surtout il y avait des gens qui avaient été formés aux États-Unis : au Massachusetts Institute of Technology, au Carnagie Mellon University. Ces gens-là avaient conscience du potentiel du design dans les nouvelles technologies, notamment celles où on ne voit rien.
En rentrant à Paris, j’ai créé une agence de design global avec Stéphane Bureaux, mon associé pendant 5 ans. Nous avons été pionniers dans l’utilisation des outils numériques, sur de tout petits systèmes 3D, des projets d’architecture commerciale, de produit, de mobilier, de graphisme : un rêve de design global.
Puis, un jour, j’ai rencontré un éditeur de
CD-Rom éducatifs, Montparnasse Multimédia. Embauché comme designer (à l’époque, on ne savait pas comment appeler ce boulot : designer d’interface ? designer d’interaction ? designer d’interactivité ?), j’y ai réalisé une quinzaine de CD-Rom avec des interfaces non standards riches, complexes et complètes. On a créé les premiers produits scientifiques avec des simulateurs de phénomènes complexes, une sorte de Cité des Sciences virtuelle. Les CD-Rom du Louvre, les Petits Débrouillards se sont bien vendus et ont été reconnus dans le monde entier. C’était vraiment une époque géniale, l’invention du CD-Rom culturel à la française.
Au bout de 7 ans, j’ai fini
publishing manager. C’était très intéressant et valorisant pour un créatif « analphabète » de se retrouver avec des responsabilités, mais je voulais faire mes propres projets, essayer de marier l’interaction et les objets, travailler directement avec des entreprises pour expliquer ce qu’elles sont. Le design stratégique ne fait pas très « école d’arts », mais l’entreprise m’intéressait. Pour moi, c’est une matière que l’on peut traiter en designer, d’une manière très différente d’un consultant standard. Alors je suis parti et j’ai créé NoDesign.

→ Qu’est ce qu’un designer d’interface ou d’interface objet dans votre cas ?
→Je ne parle pas de design d’interface, ni de design d’objet, je parle de design numérique. C’est un nom que l’on a créé parce que design d’interaction, comme l’a proposé Bill Moggridge, ce n’est qu’une partie du problème. En tant que français, avec une approche assez universaliste, assez humaniste et qui veut comprendre l’interaction, devenir un expert tactique de l’interaction ne m’intéresse pas. Le design numérique propose un repas complet. Interagir pour quoi faire ? Qu’est ce qu’on voit et dans quel contexte ? C’est ce que j’appelle la situation. Comment va-t-on créer des relations, c’est-a-dire des interactions, qu’est ce que l’on va voir ou ne pas voir ? ça ce sont les représentations.
Les anglo-saxons ont tendance à transformer le design en fonction tactique, avec une division du travail très poussée. On a le spécialiste du design d’interaction, le spécialiste du design d’interface visible, le spécialiste du design d’interface non visible, le spécialiste de la
user experience (1), etc. Avec toutes ces expertises, on se retrouve rapidement à 20 pour s’occuper d’un écran de téléphone qui fait seulement 320 pixels. Je préfère avoir une approche globale et métisser les produits traditionnels et les produits numériques. Aujourd’hui tout est numérique, d’une manière ou d’une autre: Vélib est numérique, les tickets d’avion sont numériques, souvent on n’a même plus de ticket, c’est une chaîne complète de services numériques.On est aussi en train de réinventer la chaîne conception/fabrication/distribution dans l’industrie. Le monde change, le numérique est partout. Dans une « société que l’on pourrait appeler une société des échanges et de la transformation », la notion de valeur évolue de la propriété vers le service. La possession est moins importante, et ses usages sont parfois limités dans le temps. L’exemple, c’est Linux (2), son accès est gratuit mais son coût dépend de ce qu’on veut lui faire faire. C’est comme si dans une voiture le moteur était gratuit et qu’on ne vous faisait payer que le voyage. Cela change beaucoup de choses d’un point de vue économique. Cette société des échanges est un bouleversement aussi important que le communisme ou le marxisme, qui remet en cause beaucoup de choses : une nouvelle chaîne de valeurs, une nouvelle chaîne de droits d’auteurs, une nouvelle notion du bien commun, etc. Dans tout cela, le design numérique est cette approche, généraliste, de tout ce que l’on peut faire dans les possibles du numérique.

→ Mais il y a bien un moment où il y a un objet qui émerge d’un projet ?
Ah, je vois bien le designer qui a du mal à renoncer à son bout de plastoc ! C’est vrai que certains pensent qu’on est dans une société de l’immatériel, que tout est virtuel, mais pour faire tout ça, il faut beaucoup de matériel, il faut des ordinateurs, des réseaux, des trottoirs, des câbles dans les trottoirs, etc. donc les notions d’immatériel et de virtuel sont toutes relatives. Et les objets sont finalement les plus formidables interfaces que l’on puisse imaginer, parce qu’ils ont une unicité et une existence temporelle, alors que l’interface de votre ordinateur est une chaîne d’événements, très dure à saisir. Le grand gourou de l’interaction de Microsoft, Bill Buxton, a reconnu à la dernière conférence HCI-09 (Human computer interaction 2009) qu’ils avaient « sous-estimé l’importance du style ». Ces gens-là ne se sont jamais posé la question d’une relation forme/fonction/usage, ce qui, pour des designers, est le fondement de leur pratique depuis le Bauhaus. Cette unité entre, ce que je vois, ce que ça fait et comment je l’utilise n’a jamais été documentée, inventoriée. Pourtant, il n’y a pas de meilleure représentation d’un objet. L’exemple le plus connu, c’est le Nokia 5100, un petit téléphone-bijou rouge, qui était une représentation des interactions possibles avec le téléphone. On ne voyait rien, juste un joli design traditionnel qui enveloppait un écran microscopique et une interface gérée avec le pouce. Si Nokia est devenu par la suite le leader de la téléphonie mobile, c’est parce qu’il a été le premier à faire du design de très haut niveau en termes d’expérience et en termes de design traditionnel tout simplement, pendant que nos ingénieurs français de Sagem ou Alcatel faisaient des téléphones quasi militaires sous les ordres d’un marketing extinctif.
J’ai crée l’atelier design numérique de l’ENSCI, justement parce que je me suis rendu compte que les représentations jouaient un rôle très important dans ces dispositifs numériques compliqués. En fait, ce que l’on voit est presque aussi important que ce que ça fait. Toutes les boîtes qui ont compris ça et qui l’ont mis à l’équilibre  Nokia, Apple  sont aujourd’hui en première ligne. Dans un pays intelligent comme le nôtre, avec une culture de l’abstraction, l’utilitaire, le rationnel et l’intelligence s’opposent toujours au beau et aux sens, c’est pour çela que le design a eu du mal a s’imposer chez nous. Marius Vachon, le fondateur du Musée d’art et d’industrie de Saint-Étienne, disait : « Il faudrait que les artisans deviennent artistes et que les artistes deviennent commerçants pour que l’on vende du beau ». C’était en 1875 et déjà il pointait le retard français sur les allemands et les anglo-saxons.
Avec des machines comme le iPhone, on change de paradigme : l’objet est l’interface et le design de l’objet c’est l’écran. On passe d’une culture du pouce à une culture des yeux. Les gens de la téléphonie mobile, les ingénieurs, les gens de Samsung, Alcatel, etc. ne savent pas être ambitieux en termes de
soft. Ils se disent toujours : « C’est facile de changer, on peut tout faire à la dernière minute ». Contrairement à Apple, ils ne se posent pas les questions comme on se les pose avec des objets physiques qu’on est obligé de terminer, parce qu’il faut injecter, fraiser, etc.

→ C’est plutôt l’interface qui donne l’objet, c’est quelque chose de nouveau…
Oui et c’est une vraie révolution. Les gens du soft prennent le pouvoir sur les gens du design traditionnel.

→ Mais quand vous dites « voir », ce n’est pas voir un bel objet, le iPhone c’est aussi quelque chose que l’on touche…
Non, voir, c’est regarder, regarder l’interface. L’image a un rôle extrêmement important. Toucher, ce n’est pas la question, l’iPhone aurai été de cette qualité-là avec un clavier et un joystick.

→ Donc c’est vraiment une question d’aspect, de cosmétique de l’objet…
Non, ce n’est pas une question de cosmétique, c’est une question d’esthétique au sens le plus philosophique du terme. C’est vraiment le côté puissant de la représentation que l’on propose qui fait la différence. Bien sûr le toucher du iPhone est magique, ce n’est pas neutre.

→ Le multi-touch (3), les widgets (4), c’est tout ça qui fait le iPhone, non ?
Non, le multi-touch, ça existe dans des laboratoires depuis 20 ans. Le vrai génie de l’iPhone, c’est que c’est un objet « conséquence de services » qui permet, à vous, à moi, de casser le monopole de services des grands opérateurs de téléphonie mobile. Apple a toute latitude parce qu’il a fait un produit séduisant, avec des visuels de qualité offrant des services désirables. Toutefois, il n’y a rien de nouveau dans tout cela, c’est juste une transformation géniale, c’est Mac OS 10 dans un téléphone.
Cette machine a permis de rentrer un coin dans le monopole des opérateurs téléphoniques. Pour vous, designer, cela vous paraît intéressant mais pas du tout innovant quand je vous dis « on voit ». Pourtant, c’est révolutionnaire : avant l’iPhone, on ne savait pas ce que c’était la puissance des images dans la téléphonie mobile. Les Nokia, Samsung, LG, HTC, Sagem, Alcatel n’ont aucune culture esthétique, artistique, ils sont dans le pur utilitaire. Apple a amené d’autres dimensions : symbolique, esthétique. Contempler un tableau, une image, c’est un langage d’une puissance infinie. Ce sont ces choses-là qui sont importantes, ce n’est pas justes les gadgets, les clics, les double-clics, le
multi-touch. La technologie n’a jamais fait des usages, elle doit être dominée par une idée : il faut aller vers le meilleur pour vraiment servir les gens, sans sociologue, sans marketing, sans ergonome, sans spécialiste de la user expérience, c’est-à-dire avec un entrepreneur et des designers. Je dis cela par provocation car j’ai le sentiment que nous coulons et que nous perdons du temps… Prenons des risques, qu’avons-nous à perdre ? Nous restons qui nous sommes, n’ayons pas peur.

→ C’est comme cela que fonctionne Apple, avec une faible division du travail ?
Il y a un groupe de designers, il y a le software group et un patron qui sait ce qu’il veut. Il n’y a pas cinquantes avis de spécialistes qui s’annulent les uns les autres. Il faut voir que dans le monde qui est le mien, les designers sont en minorité. Ceux qui font la loi, ce sont les ergonomes, des gens qui revendiquent un savoir scientifique de ce qu’est un usage, de ce qui est bon ou pas bon. Est-ce qu’un designer qui dessine une chaise consulte encore des ergonomes ? Dans le design traditionnel, il y a longtemps qu’il n’y a plus d’ergonome. L’ergonomie du travail, qui a existé dans les années soixante, a disparu et les ergonomes se sont tous recyclés dans le monde du design numérique. C’est une espèce de chappe de plomb utilitaire, rationnel et de spécification. Toutes les grandes entreprises high tech françaises de produits grand public ont ainsi disparu…
Le combat que l’on mène ici à NoDesign, à l’ENSCI et dans les endroits où l’on intervient, c’est de dire : « Ce n’est pas parce que c’est nouveau que toute la culture passée est à oublier ». Au contraire, la bonne intelligence, c’est de marier ces cultures pour créer du nouveau. Pourquoi
Second Life ne marche plus ? Et bien, allez expliquer à Lindel Lab (5) que, plus la peinture a cherché la représentation fidèle, plus cela a été un échec, et que ce qui a explosé ce schéma-là au 19e siècle, ce sont les impressionnistes. Pourquoi cela serait différent dans les systèmes de représentation synthétiques et dans les mondes virtuels ? L’impressionnisme, Renoir, Monet, Manet, c’est plus puissant que Gerricault et tous ces pompiers que l’on voit au musée d’Orsay. C’est vrai que, dans la téléphonie et le monde des nouvelles technologies, cette vision large n’est pas courante. C’est quand même un monde d’ingénieurs, de marketing, et là c’est plus compliqué parce que je pense qu’une grande partie de ces problèmes vient de cette course systématique au renouveau artificiel basé sur des fondations qui ne relèvent pas du sens mais d’une recherche de performance à court terme. Il faut donc créer des harmonies nouvelles et peu de marques y parviennent, en tout cas dans les produits high tech.

→ Vous parliez justement d’objets et d’interfaces, comment la rencontre se fait-elle selon vous, comment peut-elle être intelligente et comment marche t-elle ?
Elle suit un chemin compliquée. L’objet manufacturé, produit, vendu, est mort depuis que l’on a quitté les espaces de fabrication et de maîtrise de la fabrication pour dire que ça ne vaut plus rien. On fait cela en Chine et nos entreprises sont innovantes parce qu’elles sont Fabless (6). On a scié la branche sur laquelle on était assis. Aujourd’hui, il y a des systèmes basés sur des usages et des services qui recréent une nouvelle nécessité de l’objet. Ces objets ne sont plus conséquences de domination énergétique, comme le moulin-à-café électrique et tous les objets de la grande période de la consommation de masse. Depuis les années soixante-dix, depuis la séparation de l’or et du dollar, on est entré dans une société des échanges et de l’immatériel. Avec la fin de la convertibilité de l’argent en l’or, l’argent n’est plus l’argent, sa valeur est fixée par convention et plus par connexion à des métaux, au matériel. C’est très symbolique, et pour les objets c’est pareil. Aujourd’hui, les nouveaux objets, que j’appelle néo-objets, sont conséquences non pas d’une énergie, d’une valeur, mais de services. Le modèle présidant à l’existence des objets pendant tout le 20e siècle, celui de l’industrialisation en série (d’objets), se trouve progressivement remplacé par un nouveau modèle d’objets rendus nécessaires par les besoins de l’époque, les envies de l’époque et les nouvelles technologies. C’est une réinvention des objets qui sont maintenant connectés entre eux. C’est pour cela que l’on parle d’Internet des objets (7), d’ambient intelligence (Cf. Interfaces : entre réalité et (science-)fiction) ou de disapparing computer (8). Les ordinateurs sont partout, les objets eux-mêmes deviennent des ordinateurs. Tout cela ne forme pas un univers virtuel que l’on regarde à travers un écran, on est dans une machine géante dans laquelle tous les objets se parlent entre eux et peuvent nous aider à mieux vivre, à partager des informations sur notre environnement. On peut imaginer de nouvelles façons de vivre avec le numérique : des objets que l’on porte sur soi, des objets dans la maison et des objets sur le territoire, c’est vraiment multi-échelle. Nous avons besoin de ces objets pour créer des symboles, parce que, pour faire société, pour vivre ensemble, pour comprendre les mêmes choses, on a besoin de symboles. Et l’objet, c’est un symbole, c’est la plus extraordinaire des interfaces.

→ Comment distinguer l’objet et l’interface ?
On assiste a l’éclosion d’un nouveau monde industriel, dans lequel les objets sont conséquences de services et d’usages. Dans la société de l’information qui est la nôtre, ces objets doivent être dessinés et inventés. Par exemple, ils peuvent être enfouis dans un téléphone portable comme l’iPhone, mais aussi être embarqués dans un miroir, comme celui sur lequel nous travaillons, connecté à Twitter (9). Ce miroir reflète notre vie numérique, il est le miroir des gens que nous aimons et qui sont connectés sur le Web, mais il est aussi notre reflet, tel Narcisse, qui nous rappelle que les autres sont là. C’est un peu l’archétype de ce que font les hommes depuis toujours.

→ Quels problèmes rencontre-t-on dans la conception d’interface ? En quoi diffèrent-elles de celles du design d’objet ?
Vous parlez beaucoup d’objet… Le français est une langue merveilleuse, l’objet, en français, c’est autant ce que l’on peut toucher que ce qui se présente à l’esprit. Le mot objet est intéressant dans ces deux sens. L’interface est l’objet des designers du 21e siècle. Elle peut aussi devenir un objet (matériel), mais cette chose n’est que la conséquence d’un processus, elle n’est pas le plus important. Le plus important c’est l’intention qui lui a donné naissance.

→ L’innovation dans les interfaces dépend-elle uniquement de l’avancée des technologies ou peut-elle être « rétro-technologique » ?
La technologie est toujours présente avant son utilisation. Après, au sein du large panel technologique, certaines sont plus intéressantes que d’autres, notamment celles qui sont ou deviennent partageables, donc accessibles à tous, ce qui n’est pas le cas des technologies issues des laboratoires ou d’entreprises classiques.
Les technologies auxquelles on peut « tordre le cou », que l’on peut utiliser en tant que designers et créateurs, sont importantes, car les objets sont humains quand on peut les modifier, les transformer, les
hacker (10).
Les technologies sont donc une condition préalable. à notre niveau, on ne peut utiliser que des technologies qui sont accessibles pour proposer et promouvoir de nouveaux usages. Chez NoDesign, nous ne faisons pas de différence entre
high tech et low tech (11), ce qui nous intéresse, c’est l’harmonie. Parfois, nous faisons de la déconstruction, c’est-à-dire que nous enlevons tout ce qui est inutile, et parfois, nous en rajoutons, mais ce qui est important, c’est de choisir la bonne technologie, pour la bonne utilisation. Connecter un miroir à Twitter via Processing (Cf. Interfaces : entre réalité et (science-)fiction), c’est assez low tech finalement.

→ Ne va-t-on pas, avec la complexification des interfaces et des objets, vers une logique de la boîte noire, susceptible de dérives ?
Certainement, la logique de la boîte noire n’est pas une bonne chose, il faut toujours donner les clés, casser le sceau de garantie. Sur la stratégie de la boîte noire, on a un exemple merveilleux : la semaine dernière, General Motors, la première capitalisation américaine, a fait faillite. L’automobile était un objet que les gens aimaient, parce que, sous le capot d’une deux chevaux, ou d’une DS, on voyait les systèmes mécaniques, on comprenait comment ça marchait. Aujourd’hui, on ne comprend plus rien à ce qui se passe : sous les capots, tout est sécurisé, enfermé. Vous n’êtes bon qu’a une chose quand ça tombe en panne, c’est payer.
Finalement, on nous a exclu de l’objet, en le verrouillant. On ne peut plus le modifier, le hacker. La boîte noire, c’est exclure les gens. Et tous les gens qui promeuvent ces systèmes de boite noire vont mourir et c’est l’histoire qui nous le montre. Si vous excluez les gens des dispositifs qu’ils achètent, vous les condamnez à n’utiliser que les usages définis par vous-même et ils ne peuvent plus s’approprier l’objet. Si, par contre vous créez des objets avec des fonctions fabricatrices, comme le relève Gilbert Simondon , vous obtenez des systèmes plus intéressants, plus adaptés aux diverses utilisations possibles.
Apple est un exemple d’intelligence, il n’est ni fermé, ni ouvert, il navigue entre ces deux mondes.
Cela dit, tout le monde ne pouvant pas devenir
hacker, il faut moduler les objets suivant les compétences de l’utilisateur pour en faire des objets cognitifs, qui expriment ce qu’ils sont, et considérer l’objet technique comme un instrument et non comme une chose dont les usages sont pensés par les gens du marketing. Parce que, pour eux, on n’est bon qu’à payer, à consommer. Il est évident que cela ne doit pas se passer comme cela, et d’ailleurs tout les grands corps industriels fermés, avec leur stratégie de sécurisation, sont en train de se remettre en question.
Il faut inventer la notion d’objet « post-produit » qui coïncident avec la complexité de la vie, car, après tout, il y a des gens qui s’intéressent aux choses et d’autres pas. à l’époque, quand les
deux chevaux ne démarraient pas, il y a ceux qui démontaient les bougies, les soufflaient, les brossaient et les autres qui appelaient le garagiste. Pareil pour les blogs du Web 2.0 (12) : quand on veut faire un blog, il y a des niveaux de complexité, depuis le Blogspot (13) clé en main, en passant par le WordPress (14) à installer sur son hébergement en PHP (15), jusqu’au codage complet du site. Les designers doivent prendre en compte cette dimension.
Créer des objets ouverts,
hackables, modifiables, beaucoup pensent que c’est une sorte de renoncement au design, mais en fait ce serait plutôt l’émergence d’un méta-design. L’industrie n’est pas finie, elle prend une nouvelle forme, elle se rapproche de l’artisanat, mais avec des moyens technologiques énormes.
Parmi ceux-ci, le vaste réseau du Web permet de créer et de fabriquer des objets uniques. Dans ce cas précis, nous ne sommes plus dans un système concepteur avec bureaux d’études, ouvriers, administration, etc. Nous sommes dans un système de production optimisé appelé :
Fab lab (16). Le Fab lab permet de raccourcir les processus de conception/fabrication/distribution et de maîtriser toute la chaîne de production. Cela revient à produire de manière industrielle de l’unique et permet, de plus, par la technologie numérique, de produire la pièce en n’importe quel point de l’espace. Avant, on avait des objets qui produisait des services, maintenant, on a des services qui produisent des objets. Le paradigme s’est inversé.

 


(1) User experience est l’ensemble des évènements et des sensations que sera amené à vivre l’utilisateur face à une interface.
(2) Linux, ou GNU/Linux, est un système d’exploitation open source basé sur le noyau UNIX. Cf. « Petite chronologie des interfaces ».
(3) Le multi-touch est une technologie d’écran, popularisée par l’iPhone, permettant de gérer simultanément plusieurs pressions tactiles.
(4) Widget est une contraction de Window et gadget, un widget est un petit outil qui permet d’obtenir des informations (météo, actualité, dictionnaire, carte routière).
(5) Linden Lab est l’éditeur du monde persistant Second Life.
(6) Fabless désigne les entreprises de biens et services assurant une activité de conception mais ne disposant pas d’unité de production.
(7) L’Internet des objets est un néologisme qui se rapporte à l’extension d’Internet dans le monde matériel au travers d’objets informatiques.
(8) Titre d’un ouvrage collectif sur l’invisibilité croissante des interfaces. Disappearing computer, Achilles Kameas, Irene Mavrommati, Norbert Streitz, Berlin, Springer-verlag, 2007.
(9) Twitter est une plate-forme Internet de micro-blogging et réseaux sociaux. Il permet de suivre des flux de messages cours de 140 caractères maximum. La popularité de Twitter tient au fait que l’on peut actualiser et aussi être averti de messages reçus via sms.
(10) Hacker est à l’origine un mot anglais signifiant bricoleur, il désigne le possesseur d’une connaissance technique suffisante pour détourner ou modifier un objet ou un mécanisme afin de lui faire faire autre chose que ce qui était initialement prévu.
(11) Le low tech est l’action d’utiliser une vieille technologie en général pour ses caractéristiques simples, économiques et populaires. Mais aussi dans l’optique de recycler de vieilles machines. Low tech s’oppose à high tech.
(12) Le Web 2.0 est une expression pour qualifier le renouveau de l’Internet avec les caractéristiques suivantes : la participation collaborative des internautes, la naissance des réseaux sociaux, les applications Internet riches (notamment grâce a l’évolution de la technologie flash, Shokwave, PHP)
(13) Blogspot est une plate-forme blog appartenant à Google Inc. Ce service est le moyen le plus simple pour publier du contenu sur Internet. De plus,il est complètement gratuit et sans publicité.
(14) WordPress est un moteur de gestion de contenu sur le Web, il nécessite un hébergement adapté pour fonctionner. Contrairement a un Blogspot, WordPress est complexe à installer.
(15) PHP est un langage de programmation pour Internet utilisé principalement pour générer des systèmes dynamiques permettant de modifier des bases de données.
(16) contraction de Fabrication Laboratory, un Fab lab est un atelier équipé de machine-outils assistées par ordinateur.


.CORP & Studio Lo
Article paru dans Azimuts 33, Cité du design éditions, 2009